FRENE 66
Le réchauffement climatique, la disparition de la biodiversité, la raréfaction de la ressource en eau obligent à repenser rationnellement la question de l’aménagement du territoire qui a prédominé jusqu’alors. La crise que connaît le département des Pyrénées-Orientales sur la ressource en eau et par une artificialisation démesurée conduisent également la société civile à s’interroger sur les choix sans consensus portés par les responsables du syndicat du SCOT.
Le taux de croissance de population envisagé sur le littoral – le double de la moyenne nationale et qui s’accompagne d’un tourisme de masse – aggravera sur ce territoire – comme aucun autre en France – les risques de sécheresses, d’inondations, de submersions marines et d’incendies ne peut faire consensus.
La FRENE 66 ne comprend pas que le conseil syndical du SCOT poursuive les orientations du précédent document sans l’examen critique nécessaire face aux conditions climatiques dévastatrices.. Un SCOT qui n’est pas “climatisé” suivant l’expression consacrée, intégrant la loi « climat et résilience » (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets) ne peut convaincre. Les services de l’État devront désapprouver ce document y compris le cas échéant devant la justice administrative.
1. Sur le bilan du SCOT concernant la période précédant sa révision:
Ce bilan est lacunaire, les fondamentaux du précédent SCOT n’ont pas été interrogés. Pas de données chiffrées dans ce bilan et une absence d’analyse des documents locaux d’urbanisme ce qui ne permet pas un diagnostic sérieux à la hauteur des nouveaux enjeux.
2. Sur la croissance démographique:
La moyenne française du taux de croissance démographique se trouve aux alentours des 0,3% par an. Le SCOT, prévoit lui 0,7 %, certes en “décroissance” par rapport à la période précédente qui le situait à 1,8% par an, ce qui était déjà très irréaliste. Les “ambitions démographiques” des membres du conseil syndical du SCOT semble être une donnée strictement idéologique. Ce personnel politique refuse de voir que ce territoire – avec notamment la pénurie sur la ressource en eau, mais pas seulement – ne peut supporter les 35500 habitants supplémentaires envisagés d’ici 2037 pour amener la population du territoire à 374 000 habitants.
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De plus, cette ambition démesurée ne correspond pas aux données de l’INSEE qui prévoit pour le scénario bas, 5000 habitants et pour le scénario haut 25 000 habitants supplémentaires, soit un point moyen à 15 000 habitants, très loin des 35 500 habitants envisagés par ce projet de SCOT.
D’ailleurs, face au réchauffement climatique et les risques évoqués, comment le Roussillon pourrait-il rester attractif à l’avenir au regard des nombreuses restrictions qui sont déjà ressenties douloureusement par la population actuelle et pour certains usages. Le désir de mégapole des certains responsables politiques doit être confronté au sentiment d’injustice face à certaines restrictions.
3. Sur la construction de logement:
Le besoin en logement évalué à 34 500 sur 15 ans est établi à partir d’une démographie surévaluée par rapport aux données INSEE (+35 500 hab à la place de 15 000).
Globalement, les constructions nouvelles se répartissent pour moitié (17 750 logements) pour de nouveaux arrivants, l’autre moitié (16 750 logements) pour répondre aux besoins de la population actuelle et des résidences secondaires. La taille estimée des ménages est annoncée en diminution, passant de 2,1 en 2021 à 2 en 2037.
Le parc des Résidences Secondaires (RS) occupe actuellement 19.8% du parc total de logements (44 380 logements) et le SCOT entend les maintenir alors que le taux en France est de 9,5 %. Soit 3000 RS supplémentaires jusqu’en 2037 et qui sont calculées à partir d’une démographie surévaluée comme énoncée précédemment.
Par ailleurs, aucune étude sérieuse n’a été menée pour cette révision du SCOT sur ces résidences secondaires, en indiquant par exemple pour chaque commune le type d’occupation des logements : vides de toute occupation, occupé occasionnellement par son propriétaire, loué à l’année ou à la nuitée. Le phénomène Airbnb, en très forte progression, pose déjà des problèmes d’accès au logement dans les zones tendues et n’est pas évoqué dans ce SCOT à partir de données pouvant être facilement collectées auprès des communes. Par ailleurs, le SCOT perd de vue la pression touristique sur la ressource en eau qui s’exerce durant les périodes où elle fait le plus défaut.
À défaut d’une étude sérieuse par commune sur le type d’occupation des logements, ce SCOT ne peut avoir aucune ambition pour réinvestir le logement vacant qui est évalué à 10%, soit 20 400 logements et dont le SCOT prévoit, dans une simple recommandation, d’en mobiliser seulement 5 000. Ce n’est pas la hauteur des enjeux du territoire.
Ainsi le document semble souhaiter mettre en chantier 1 logement pour 1 habitant supplémentaire ce qui n’est pas sans incidence sur la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers. L’étalement urbain – un problème français majeur – se poursuivra.
4. Sur la construction à vocation d’activité économique :
Il est envisagé encore 140 ha à vocation d’activités économique en périphérie, malgré les nombreuses zones existantes sur le territoire, dont certaines sont en friches.De plus ces zones périphériques livrées aux grandes surfaces commerciales vont venir fragiliser un peu plus les centres urbains, qui devraient être au contraire une priorité du SCOT afin de mettre fin à une vacance déjà très importante, notamment à Perpignan.
5. Sur la ressource en eau dans l’évaluation environnementale:
La sécheresse dans les Pyrénées-Orientales continue et nous manquerons bientôt de superlatifs pour la qualifier.
L’alimentation en eau potable sur ce territoire provient majoritairement des nappes du pliocène et du quaternaire. Ces nappes sont caractérisées par un déficit quantitatif chronique, justifiant d’ailleurs le classement en Zone de Répartition des Eaux (ZRE). Les indicateurs communiqués par le syndicat des nappes font état de records historiques dans la descente vertigineuse de ces nappes depuis les premières mesures piézométriques. 42 communes ont été placées cet hiver sur une liste par l’Agence Régionale de Santé avec des risques sérieux de rupture d’alimentation en eau potable et 5 le sont déjà. Il n’y a pas un mot sur ses sécheresses successives.dans ce SCOT.
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Une mission interministérielle (CGAAER et CGEDD) va rendre ses conclusions prochainement pour « des solutions opérationnelles » dans les Pyrénées-Orientales. Elle a déjà constaté qu’elle n’était pas en mesure de connaître ni les prélèvements ni les besoins d’eau agricole. Il reste donc beaucoup d’inconnues avant d’envisager des développements urbains conséquents comme le prévoit le SCOT..
Où en sommes-nous de la connaissance sur les prélèvements d’eau ?
D’une part, le principal objectif du Schéma de Gestion des Eaux SAGE démarré en 2016 était l’identification et la régularisation des forages non déclarés ou non autorisés. Cette action n’est toujours pas terminée début 2024. Plus de 1000 forages ont été identifiés, mais toujours pas régularisés au regard de l’étude des volumes prélevables de 2016. Essentiellement sur l’usage agricole qui n’arrive pas à sortir de la gestion individuelle pour aller vers une gestion collective, pourtant prévue et relancée dans les 53 mesures du plan Macron pour la sécheresse. Seulement 30% sont équipés d’un compteur manuel (source DDTM). En conséquence, les prélèvements réels sur ces nappes, essentiellement agricoles, ne sont pas connus du syndicat des nappes ni des services de l’État. Par ailleurs, de nombreux témoignages font état d’une activité accrue sur le département des entreprises de forages, très probablement sur des ouvrages non déclarés ou non autorisés.
D’autre part, le Schéma Directeur des Eaux Brutes Agricoles (SDEBA), mené conjointement avec l’étude Eau’rizon, 70, viennent seulement de débuter en 2024 et vont se poursuivre jusqu’en 2025-2026. Ce travail prospectif poursuit un double objectif. Il doit permettre d’élaborer des actions permettant à l’agriculture de se maintenir, en adaptant les pratiques face au changement climatique et construire un schéma directeur de projets et d’aménagements hydrauliques respectant l’objectif d’équilibre quantitatif des masses d’eau prévu dans le SDAGE et dans les SAGE.
Cette connaissance, lacunaire à ce jour comme l’a souligné la mission interministérielle, ne permet donc pas d’envisager des solutions structurelles de stockage comme on peut le lire dans le SCOT.
En effet, le principe de la substitution pour ce type d’équipement découle du Bilan Besoin Ressource (BBR), d’une étude d’impact afin de permettre la mise en place d’une démarche Eviter Réduire Compenser (ERC). Ce projet doit donc s’inscrire dans un Plan de Territoire pour la Gestion de l’Eau (PTGE). À ce jour, 50 PTGE ont été approuvés en France, aucun dans les Pyrénées-Orientales.
Le code de l’urbanisme impose que les choix du SCOT soient compatibles avec les orientations fondamentales d’une gestion équilibrée de la ressource en eau prévue dans les documents Schéma Directeur d’Aménagements et de Gestion des Eaux Rhône Méditerranée (SDAGE) et Schéma d’Aménagement de Gestion des Eaux de la Plaine du Roussillon (SAGE).. La Mission Régionale de l’Autorité Environnementale (MRAE) qui a eu à se prononcer sur une quinzaine de projets de Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) depuis 2017 sur le territoire de la plaine du Roussillon, avec plusieurs projets de lotissements conséquents a reconnu que l’adéquation besoins-ressources n’était pas démontrée par les collectivités.(avis n° MRAE 2022AP02 du 10 janvier 2022). Cela n’a pas empêché les maires concernés de délivrer les permis de construire et d’aménager . Le contrôle de légalité n’est jamais intervenu face à cette carence.
L’adéquation entre la ressource en eau et les besoins n’est pas démontrée par une étude d’impact territorialisé sur les unités de gestion dans ce SCOT, notamment au regard des enjeux démographiques envisagés. Le SCOT entend toujours faire peser cette responsabilité aux documents d’urbanisme de rang inférieur (PLU et PLUI). Le SAGE des nappes recommande justement d’inverser cette logique en remettant la charrue avant les bœufs, afin que les maires ne soient pas en train de rechercher de nouvelles ressources mobilisables hypothétiques après avoir autorisé des lotissements et finir par en appeler au préfet pour obtenir des dérogations sur les restrictions de certains usages en période de crise.
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Par ailleurs, le projet de sécurisation qui consiste à additionner en mutualisant la ressource de plusieurs bassins ou sous-bassins dans ce SCOT relève de l’arlésienne. C’est une stratégie d’atermoiement, sans calendrier ni financement, et avec de grandes inconnues comme celle de l’exploitation du karst des Corbières et de son interconnexion.
Il apparaît donc clairement que ce SCOT n’est pas compatible avec le SDAGE et le SAGE.
6. Sur le risque inondation
Sur le risque d’inondation, un certain déni général perdure de la part des élus locaux comme l’a souligné un rapport du CGEDD de juin 2022 (Rapport n°014157-01, Bruno CINOTTI, Flore LAFAYE DE MICHEAUX, Stéphane PELAT). Ainsi sur les 300 000 habitants permanents résidant dans le territoire couvert par le SCOT, près des deux tiers, soit environ 50% de la population du département se trouvent en zone inondable. Le Rapport conseillait d’ailleurs au préfet de revoir la composition des intercommunalités pour favoriser l’émergence d’un projet commun de prévention des inondations qui anticipe les mesures liées au ZAN. Malgré les obligations qui pèsent sur le SCOT qui doit être compatible avec le PGRI 2022-2027, certaines dispositions ne le sont toujours pas. Comme le constate la Chambre Régionale de la Cour des Comptes dans son rapport du 24 août 2023, qui écrit doucereusement que le SCOT “a peu priorisé le développement des secteurs les moins exposés aux risques”.
Dans cette révision du SCOT, trois Secteurs de Projets Stratégiques (SPS) à vocation d’habitat sont identifiés en zone d’aléas inondation de fort à très fort. Ces conditions conduisent déjà les maires à se plaindre dans la presse que leurs communes ne trouvent plus de compagnie d’assurance.
7. Sur l’application de la loi climat et résilience et la trajectoire Zéro Artificialisation Nette (ZAN)
La trajectoire ZAN pour le SCOT Plaine du Roussillon est consultable sur le site du CEREMA.
- Le SCOT a consommé sur les 10 ans 2011-2021: 1 169 ha
- Le SCOT devra consommer (50%) sur 2021-2031 : 584 ha soit 58,4 ha/an
- Puis sur 2032-2037 : 234 ha Le SCOT Plaine du Roussillon doit se conformer aux règles du Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) pour la mise en place de la trajectoire du ZAN. Ce n’est pas le cas pour la règle n°11, qui prévoit une réduction en trois phases aux horizons 2030, puis 2035 et enfin 2040. Le projet de SCOT ne démontre pas que le projet s’inscrit dans cette trajectoire à 2040. Le SCOT étant à échéance 2037. En 2021, le CEREMA constate déjà que le SCOT a consommé 104 ha au lieu des 58,4 ha de la trajectoire. On constate aussi que 6 Projets d’Envergure Régionale Nationale et Européens (PENE) ont été sortis du prévisionnel de consommation d’espace et relèvent d’une hypothèse aussi imprudente que démagogique. En effet, la Région Occitanie attire l’attention du président du SCOT: “Par ailleurs, la consommation liée à 6 projets considérés comme d’envergure régionale ou nationale n’est pas comptabilisée dans ces projections de consommation. Il s’agit des sites suivants: Saint-Charles Orline, Torremilà, Arago/Espaces Entreprise Méditerranée, La Mas de la Garrigue à Rivesaltes, Pôle nautique à Canet et Numérisud au Soler.” La Région ajoute :
“ Au vu de la difficulté à territorialiser le ZAN, dans une région attractive et souffrant d’un retard d’équipement en infrastructures de transport, la Région se mobilise pour que l’ensemble des PENE soient inscrits au sein de la réserve nationale. Pour autant, au regard du faible volume fixé par l’État de cette réserve (10 000 ha), peu de projets pourront y être inscrits. La Région a néanmoins adressé à la Première ministre une première liste de projets les plus
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structurants, dont la OZE Arago fait partie.”.
Pour l’instant donc, un seul projet sur les six pourrait être intégré dans les PENE. Dès lors, il conviendrait de réintégrer l’emprise au sol des 5 autres projets dans la trajectoire du ZAN, ce qui impliquerait de facto un dépassement de la consommation prévue par la loi. Ce SCOT ne respecte donc pas la trajectoire ZAN.
Par ailleurs, les surfaces de ces 6 projets ne pas sont pas indiquées dans les documents du SCOT.
8. Sur la Trame Verte et Bleue (TVB) et les continuités écologiques :
En dehors de la difficulté pour appréhender les enjeux dans les documents, sur le fond, le dossier de SCOT n’est pas au rendez-vous. Il ne permet pas la préservation des continuités ou des corridors écologiques tant les exceptions permettant la constructibilité sont nombreuses (Parcs au sol, ombrières, serres à prétention agricoles ), et dont les grands projets pouvant les impacter n’ont pas été identifiés en présentant la démarche ERC. La destruction et l’artificialisation est l’une des causes principales de l’effondrement de la biodiversité. Le développement des EnR doit privilégier les zones déjà anthropisées, mais qui n’ont même pas été inventoriées dans ce SCOT.
9. Sur les énergies renouvelables
La préservation des paysages et des corridors écologiques sont des enjeux incontournables d’un SCOT. De trop nombreuses exemptions sont admises sur la Trame Verte et Bleue (TVM) pour la construction d’installations photovoltaïques. Ces deux orientations sont incompatibles. La production photovoltaïque doit être priorisée en secteur urbain, pour ne pas avoir à transporter l’électricité du rural vers l’urbain ce qui nécessite de lourds investissements publics et porte atteinte aux paysages et à l’avifaune.
Le projet de SCOT 2024 a omis de lister les villages-promontoires qui doivent recevoir une protection paysagère pour éviter les constructions de grande hauteur (comme des éoliennes de 132 m). Le précédent SCOT citait : Banyuls- dels-Aspres, Corneilla-del-Vercol, Elne, Fourques, Passa, Ponteilla, Saint-Nazaire, Tresserre, Villemolaque, Villeneuve-de-la-Raho. Pourquoi le projet SCOT 2024 ne les cite-t-il plus comme villages-promontoires ?
La loi AER (Accélération des Énergies Renouvelables) invite les collectivités à rechercher des zones favorables à ces énergies. Le renouvelable ne se résume pas à l’éolien, ou bien aux panneaux solaires en pleine campagne dans l’agrivoltaïque avec des terrains achetés par des professionnels de l’électricité comme à Terrats ou à Fourques. Et il y a d’autres énergies renouvelables qu’une collectivité peut proposer pour satisfaire à la loi AER : le solaire en toiture en autoconsommation, les ombrières sur les grands bâtiments et les parkings couverts, les géothermies (de surface pour chauffage collectif ou individuel, la chaleur des eaux usées, les forages subhorizontaux …), le bois-énergie pour chaufferies collectives, la biomasse, la méthanisation de la biomasse, le solaire thermique pour eau chaude sanitaire ou chauffage. Les auteurs du SCOT auraient été bien avisés d’examiner ces orientations.
Conclusion :
La FRENE 66 donne un avis défavorable à cette révision du SCOT Plaine du Roussillon.
Perpignan, le 3 mars 2024
Le Président de la FRENE 66 Marc MAILLET